Focus #10 : Christelle

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Christelle Payet, Ingénieure, cheffe de projets en eau et assainissement, CCMG

Ingénieure, cheffe de projets en eau et assainissement, Christelle Payet est l’un des nouveaux visages de la Communauté de Communes Marana-Golo. Face au grand défi de demain que représente le changement climatique, le Président de l’intercommunalité, Jean Dominici, a décidé de « muscler » l’ingénierie, un secteur clé pour permettre à notre bassin de vie de s’adapter aux nouvelles réalités et aux tensions sur la ressource en eau.

Quel est votre parcours ?

Je suis originaire de La Réunion, j’ai effectué mes études jusqu’en première année de Licence à l’Université de Saint-Denis. Je me suis installé ensuite à Nantes pour ma première année de Master, puis Paris pour terminer mon master 2. J’ai effectué mon stage dans une entreprise à La Réunion qui était traiteur d’eau et qui rayonnait dans la zone de l’Océan Indien. Cela m’a permis de travailler sur des projets en Afrique, à Madagascar, à Mayotte. C’était très enrichissant car nous devions répondre à des problématiques relatives à l’agroalimentaire, à la santé publique. Ce sont des process très particuliers. Dans le domaine médical, cela concerne notamment la stérilisation de tous les instruments et pour la réalisation des dialyses, il y a nécessité d’avoir une qualité d’eau clinique. J’ai enchainé ensuite dans le secteur de la maîtrise d’ouvrage auprès d’un bureau d’études techniques toujours à La Réunion. J’y suis resté trois ans avant de rejoindre l’Australie puis la Nouvelle Calédonie pour un bureau d’études qui s’appelait Thésée Imagerie. Enfin, je me suis installé en Corse en travaillant pour le cabinet Pozzo di Borgo, j’y suis resté six ans et demi pour travailler sur des missions de maîtrise d’œuvre avant d’intégrer l’Office Hydraulique et depuis quelques mois, la CCMG.

Quelle est votre approche aujourd’hui des différents milieux naturels ? Quelles sont les caractéristiques propres de chacun des territoires que vous avez visités ?

Le fait d’avoir travaillé essentiellement dans des îles, je pense appréhender certaines contraintes comme la difficulté de l’approvisionnement en fournitures pour les travaux mais aussi la main d’œuvre et la compétence locale. Ce sont des contraintes que nous devons en prendre en compte au moment de l’élaboration des solutions techniques que nous allons proposer. Quel système allons-nous mettre en place ? Sera-t-il facilement exploité ? Devrons-nous faire appel à une entreprise du continent pour la maintenance ? Pour la Corse qui est assez proche du continent, c’est plus facile mais pour La Réunion ou pour la Nouvelle Calédonie, les coûts d’exploitation et de maintenance peuvent représenter des financements très élevés. Je n’ai pas ressenti le phénomène de saisonnalité sur La Réunion et la Nouvelle Calédonie, ce ne sont pas des îles qui vivent essentiellement du tourisme. A La Réunion, on ne voit pas la différence selon les saisons. L’île est densément peuplée ce qui fait que les infrastructures en place sont déjà dimensionnées pour une population importante. La fréquentation supplémentaire que l’on pourrait trouver en période touristique est largement absorbée. En Corse, nous avons souvent des équipements surdimensionnés pour l’hiver et assez bien dimensionnés l’été.

A votre niveau, quel constat dressez-vous des impacts du changement climatique ?

Il nous faut aborder les choses différemment. Au sein de la CCMG, nous réfléchissons d’ores et déjà sur l’idée du traitement des micropolluants comme le plastique que l’on retrouve dans l’eau potable. Cette problématique n’est pas encore traitée en raison d’un coût très élevé de ce type de traitement technologique. Il y a aussi, la prise en compte du risque inondation et du choix d’implantation de nos infrastructures pour les mettre en sécurité. Enfin et c’est primordial, il y aura tout le volet de la gestion en eau potable.

Christelle Payet, Ingénieure, cheffe de projets en eau et assainissement, CCMG, crédit photo : Magali Mariani, @cleo

Il y a la question de la réutilisation des eaux traitées usées (REUT) aussi ?

Oui, l’idée sera de mettre en œuvre ce process sur une nouvelle station d’épuration qui permettra, en période de sécheresse, de réutiliser l’eau. Nous avions un objectif pour l’usage agricole. Nous avons travaillé, dans ce cas précis, avec la Chambre d’Agriculture pour réfléchir à l’organisation d’une coopérative. La principale difficulté, par rapport à ce projet, est que les agriculteurs du territoire bénéficient d’une eau de très grande qualité qui est fournie par l’Office Hydraulique et qui n’est pas chère. Tant qu’il y a de l’eau, il n’y a pas à être concurrentiel. Par contre, si demain, les débits dans le Golo ne deviendraient plus suffisants, la solution de la REUT aurait du sens et de l’intérêt. Si on élargit au-delà du spectre agricole cette idée, nous avons eu aussi des échanges avec le Golf Club de Borgo pour ses besoins en irrigation. On pourrait penser aussi à de l’usage industriel à l’exception de l’agroalimentaire. Des réflexions restent à faire sur les usages. L’objectif est d’entrer dans un cercle vertueux dans lequel ce qui peut être considéré comme un déchet pour nous peut devenir pour un autre une matière première… En Afrique, la REUT est déjà utilisée d’ailleurs pour les besoins en eau potable des populations. En France, l’Etat a mis en œuvre beaucoup de freins avant d’exploiter ce système pour avoir tous les retours d’expérience nécessaires en termes de santé publique. Pour l’usage agricole, par exemple, il faut disposer d’analyses de sol, six mois avant et six mois après. Comment cette eau va modifier l’état des sols ? Il y a une réglementation énorme pour la REUT, les démarches prennent ainsi beaucoup de temps. Je pense toutefois qu’avec les problématiques rencontrées aujourd’hui au niveau de la ressource, nous tendons vers un allègement de ces mesures. Sur le plan de la qualité de l’eau, avec les technologies de nano filtration et un traitement UV ou une chloration en sortie, la potabilité de l’eau est garantie. Difficile toutefois à faire accepter cette idée du point de vue des mœurs d’aujourd’hui !

Outre la plaine qui est bien équipée, la problématique du traitement des eaux usées touche aussi les villages. Quels sont les projets en cours ?

Nous travaillons actuellement sur la mise en service d’une station d’épuration sur la commune de Bigorno. Le projet est sorti, une entreprise a été désignée pour réaliser les travaux. Nous avons aussi une modernisation à Campitello dont la station d’épuration est totalement obsolète. Nous prévoyons de construire une nouvelle STEP avec solution en filtres plantés de roseaux. C’est un traitement plus rustique mais plus facile en termes d’exploitation et qui offre une intégration paysagère beaucoup plus importante. Nos projets pour les communes de piémont sont axés vers la réalisation de STEP ou encore le renouvellement du réseau d’assainissement qui est vieillissant. Pour la plaine, après l’inauguration de la STEP du Lido en 2023, nous terminons la réhabilitation de deux grosses postes de réseaux qui alimentent cette STEP, le PR Biguglia et le PR de l’IGESA. Nous devons aussi reprendre 1,2 Km du réseau d’assainissement entre Biguglia le PR de l’IGESA.

Les temps d’ingénierie sont souvent plus longs que les délais de réalisation des travaux ?

Oui, l’ingénierie commence tout d’abord par la définition des besoins. C’est une réflexion qui est en premier lieu menée avec les mairies, avec les exploitants. Ces études doivent être réalisées pendant les périodes hivernales et estivales et il faut à minima un an pour déterminer les besoins, les capacités nécessaires en été ou en hiver. La seconde démarche repose sur la problématique foncière. Quelle sera la meilleure localisation d’un équipement structurant en sachant que les communes n’ont pas forcément, elles-mêmes, le foncier disponible ? L’acquisition du terrain peut aussi prendre un certain temps. Effectivement, sortir un projet ne se fait pas en trois mois !

Quelle est votre vision d’un territoire d’excellence en termes gestion de l’eau et de traitement des eaux usées ?

L’objectif est de pouvoir travailler en circuit fermé, développer davantage la réutilisation des eaux usées traitées pour répondre aux impacts du défi climatique. Nous sommes sur un territoire à la fois rural et industrialisé, l’objectif est de travailler en bonne intelligence, en harmonie avec nos industriels qui ont des rejets spécifiques. Il y a un travail collaboratif à mener avec nos industriels et avec nos grandes plateformes comme EDF, l’aéroport, la centrale à gaz, etc. La morphologie de notre territoire nous oblige à concilier toutes nos différences d’usage de l’eau : pour les particuliers, pour le monde agricole, les industries ou encore pour l’économie touristique… C’est un défi passionnant !